Une bonne histoire à se raconter devant un verre

Il y a quelques semaines, je discutais avec un collègue à propos de la disproportion du recours au consulting (en termes de pourcentage dans les effectifs) dans le système que j’accompagne actuellement, autour de 80% des personnes sont des externes.
Pour rebondir sur ce que je lui disais, il m’a raconté sans le nommé le théorème du singe (dont j’avais déjà entendu parler il y a quelques années).

Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire, je vous cite une partie de la page Wikipédia :

Une vingtaine de chimpanzés sont isolés dans une pièce où se trouve une banane en haut d’une échelle. Dès qu’un singe commence à escalader l’échelle, les autres reçoivent automatiquement une douche froide.

Rapidement, les chimpanzés apprennent qu’ils ne doivent pas escalader l’échelle s’ils veulent éviter d’être arrosés. La douche est ensuite désactivée, mais les chimpanzés conservent l’expérience acquise et ne tentent pas d’approcher de l’échelle.

Un des singes est remplacé par un nouveau. Lorsque ce dernier s’approche de l’échelle, les autres singes l’agressent violemment et le repoussent. Lorsqu’un second chimpanzé est remplacé, lui aussi se fait agresser en tentant d’escalader l’échelle, y compris par le premier singe remplaçant.

L’expérience est poursuivie jusqu’à ce que la totalité des premiers chimpanzés qui avaient effectivement eu à subir les douches froides soient tous remplacés. Pourtant, les singes ne tentent toujours pas d’escalader l’échelle pour atteindre la banane. Et si l’un d’entre eux s’y essaye néanmoins, il est puni par les autres, sans qu’aucun ne sache pourquoi cela est interdit bien qu’aucun n’ait jamais subi de douche froide.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_du_singe

Ce qui est intéressant dans cette histoire n’est pas tant que mon collègue ait fait le lien entre une pratique (introduite, je ne sais pas quand, c’est-à-dire le recours au consulting) qui est devenue hors de contrôle au point que plus personne ne semble s’en rendre compte. Cécité sur la gravité de la situation.

Si je vous parle de cette histoire, c’est parce que, sous ses apparences de protocole scientifique, le théorème du singe est en fait une fable. Il est imaginaire et ne démontre pas qu’une société de singe est capable de transmettre de fausses croyances oubliées d’une manière qui fait penser au fameux culte du Cargo.

Du bar au boulot…

C’est un phénomène que je vois souvent en entreprise et j’aurais tendance à dire assez souvent chez les coachs. Ce n’est pas très grave quand c’est entre collègues au bar, pour illustrer nos déboires de la semaine. Ça l’est beaucoup plus quand c’est utilisé pour coacher, former des individus ou des équipes.
C’est faire appel à de la pseudo science sociale pour expliquer des phénomènes qu’on observe, mais ne comprend pas à un auditoire.

Si j’écris cet article, c’est que je ne suis pas innocent, j’ai moi aussi transmis des conneries en ne prenant pas le temps de vérifier systématiquement mes sources (écrites ou que j’avais moi-même entendu dans une formation).

Je vais prendre un exemple, le nombre de Dunbar.

En tant que coach organisationnel, nous avons à cœur de prendre comme paramètre, parmi d’autre, l’importance d’un bon relationnel entre les individus dans leurs équipes et d’une équipe à l’autre. C’est un des premiers critères à prendre en compte d’ailleurs, mais sur quoi se baser pour connaître la taille critique d’une équipe, d’un regroupement d’équipe, d’une unité opérationnelle (Business unit) ? Faire appel à la recherche en sciences humaine semble une évidence.

Ce que j’ai appris sur le nombre de Dunbar, sans le vérifier, et ce que je transmettais :

L’anthropologue Dunbar a observé et démontré que les sociétés humaines ont une forte tendance à se subdiviser en groupe de 150 individus afin de maintenir un bon niveau relationnel entre chaque membre du groupe et ainsi avoir une plus grande chance de survie. Au-delà de 150 individus, le groupe aura par exemple tendance à créer un nouveau village. 150, c’est également, grosso modo, le nombre maximum de personnes avec lesquelles on peut échanger au quotidien et dont on peut se souvenir du nom.

Après vérification :

Dunbar n’a pas pris des hommes pour son expérimentation, mais des singes, puis il a extrapolé. Le nombre n’est pas de 150, mais est compris entre 100 et 250 (dans ce cas, il vaudrait mieux prendre 100 comme référence, ça semble moins risqué). L’enjeu pour les primates, c’est la survie du groupe, pas de livrer des fonctionnalités ou construire un nouveau produit.

Qu’en conclure ?

Je n’ai pas du tout jeté Dunbar à la poubelle, mais je considère maintenant que l’optimum ne doit pas être forcément de 150 personnes, même si Team topologies aurait tendance à confirmer ma croyance.

In the context of products and services enabled by software systems, the limits
exposed by Dunbar’s number mean that the number of people in different business
lines or streams of work should also explicitly be limited when the number of people
in a department exceeds fifty (or 150, or 500), the internal and external dynamics with
other groupings will change.

Matthew Skelton and Manuel Pais, Team topologies, Part I, Chapter 3, Limit the size of multi-team groupings within the organization based on Dunbar’s number., 2019.


J’essaie donc depuis lors de vérifier mes sources, même celles qui me paraissent les plus fiables, et je cherche à savoir si la théorie à laquelle je fais référence, est reconnue ou complétement marginalisée par l’état de la recherche. Bref, je réapplique ce que j’ai appris à la fac.

Catégories : Méthodologie

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